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Article

Episode 3 – Ni ZAC ni MOP : l’APUI* La 3ème voie fait aussi recette en urbanisme

Parution :

URBANOVA

Date :

2018

Auteurs :

Lionel Gastine et Anne-Laure Desjardins (URBANOVA) avec la contribution de l’équipe projet du Cycle d’Urbanisme de Sciences Po Paris [1]

La ZAC : trop lourde, trop chère, trop moche ?

Des ZAC en perte de vitesse en Île-de-Franc. Nombre de ZAC créées en Île-de-France entre 1996 et 2008.

La ville prescrite en mode crépusculaire : les dérives des procédures classiques

La ZAC est une procédure traditionnelle pour les collectivités et les aménageurs. Ce mode opératoire leur permet de maîtriser le programme d’urbanisation avec précision. Pourtant les nouvelles ZAC sont en perte de vitesse depuis plusieurs années, en particulier en Île-de-France, et c’est dans ce dans ce contexte de multiplication des opérations « hors ZAC » qu’émergent les APUI. Trois critiques sont régulièrement adressées à la ZAC.

La procédure est décriée pour sa lourdeur et sa lenteur. Elle incarne l’urbanisme séquentiel [2] dans lequel les procédures saucissonnent les interventions sur un temps trop long pour permettre l’adaptabilité et la réactivité. Ainsi pour Jean-Louis Missika la « ZAC a un horizon temporel de 15 ans. Or dans 15 ans à Paris, on, travaillera, on habitera et on commercera de manière radicalement différente d’aujourd’hui ». La vitesse de livraison des projets est d’ailleurs un des objectifs que les APUI ont inscrit dans leur règlement de consultation.

Cette lenteur s’accompagne également d’une multitude d’exigences et de normes imposées par l’acteur public avec le risque de faire produire aux partenaires privés des projets très contraints et standardisés. La fiche de lot en est sûrement devenue le symbole. Elle explique pour certains professionnels le manque d’initiative pris par les opérateurs privés.

Enfin, la ZAC est perçue comme une procédure coûteuse. Sans que cela soit une obligation, cette procédure amène souvent l’aménageur public à s’impliquer financièrement dans le portage du foncier avant de le vendre à des promoteurs. Ce coût se révèle de plus en plus élevé car une part croissante des nouveaux projets se font sur des tissus urbains existants. Des dépenses de plus en plus difficiles à assumer pour des collectivités en mal de ressources budgétaires.

Jean-Louis Missika : « Une ZAC a un horizon temporel de 15 ans. Or dans 15 ans à Paris, on, travaillera, on habitera et on commercera de manière radicalement différente d’aujourd’hui ». [3]

La cession foncière : couteau suisse des APUI pour des projets plus ouverts, plus condensés…et plus rentables ?

Les APUI cherchent à répondre aux faiblesses de l’urbanisme de ZAC en utilisant de façon nouvelle une procédure déjà existante : la cession foncière avec charges.

Des projets plus ouverts

La cession foncière avec charges est un dispositif contractuel qui permet à une collectivité de vendre ses terrains et de faire peser sur l’acquéreur une série d’engagements comme celui de construire certains équipements (ex : logements, bureaux, locaux d’activités). Avec ce cadre juridique, la collectivité peut si elle le souhaite garder une certaine maîtrise de la destination des terrains cédées.

L’appel à projets Réinventer Paris, qui a utilisé ce type de cession, s’est distingué d’autres consultations promoteurs par une très grande liberté donnée aux candidats. Si les « fiches descriptives de site » annexées au règlement ont parfois formulé des orientations programmatiques, beaucoup d’observateurs ont retenu de cette consultation la « carte blanche » donnée aux partenaires privés.

La cession foncière avec charges est donc un dispositif très plastique auquel la Ville de Paris a choisi d’attacher des objectifs génériques d’innovation plutôt que des attentes précises de programmation. Cette nouvelle « règle du jeu » a produit des projets plus ouverts pour chaque site mis à la vente : à la fois plus diversifiés entre les offres des candidats et plus riches par le nombre de programmes proposés dans leur projet (cf. Episode 4 – L’innovation dans la programmation : les fruits tiendront-ils la promesse des fleurs ?). Cette ouverture et cette richesse dans la programmation se sont faites par la mobilisation d’un cercle plus large d’acteurs dans les groupements lors de la phase de consultation : en complément des acteurs traditionnels (promoteur, architecte, paysagiste, BET), de futurs exploitants, des usagers, des start-up et autres acteurs porteurs de nouvelles solutions sont venus prendre part au travail de montage de la candidature (cf. Episode 5 – Protagonistes des APUI :  après la révolution, l’heure de la transformation).

Des projets plus rentables ?

Financièrement, la cession foncière permet à la fois à l’acteur public de ne plus porter le foncier puisque celui-ci est directement vendu et de ne pas avoir à assumer des études couteuses préalables à tout nouveau projet urbain.

En cela, les APUI se rapprochent d’autres grands projets urbains faisant l’objet d’une cession foncière « précoce » par la collectivité comme les projets Smartseille et XXL à Marseille. Cette comparaison foncière et financière ne vaut pas pour l’ensemble des grands projets avec lesquels des similitudes ont pu être identifiés avec les APUI (cf. Episode 1 – Naissance des APUI : on a retrouvé les vidéos classées) :

Dans le cas de Réinventer Paris, la collectivité était initialement propriétaire des sites contrairement aux opérations des Bassins à flot à Bordeaux ou de la Part-Dieu à Lyon.

Il y a donc dans le cas de Réinventer Paris des rentrées financières pour la collectivité. Cet apport, estimé environ à 600 M€, a-t-il été plus rémunérateur pour la Ville de Paris avec ce nouveau mode de consultation ?  L’intérêt d’un apport financier quasi-immédiat, garantie par la cession foncière, est une quasi-certitude. En revanche l’idée d’un meilleur rendement financier l’est moins : le potentiel de recettes pour la consultation Réinventer Paris a été estimé à 1 000 M€ soit un manque à gagner de 400 M€. Cette perte financière pour la collectivité peut être considérée comme une subvention à l’innovation pour les projets retenus dont on attend des « valeurs ajoutées » nouvelles : sociales, économiques, environnementales. Reste à savoir s’il est bien prévu d’évaluer ses impacts dans le temps pour s’assurer d’un retour sur investissement de la méthode.

Des projets plus condensés

Ce nouveau type de consultation condense en une seule procédure des phases traditionnellement étalées dans la vie d’un projet urbain en amont et en aval de la cession foncière.

L’acquisition du foncier se faisant très en amont dans la conception du projet, le promoteur-acquéreur doit non seulement proposer un projet architectural très tôt mais aussi anticiper des études techniques pour valider sa proposition de prix d’achat. Par ailleurs les règlements des APUI formulent des objectifs forts en matière de nouvelles programmations et d’implication des usagers : ces attentes obligent les promoteurs-candidats à intégrer dès le stade de leur offre des réflexions et propositions avec des exploitants-usagers qu’ils avaient l’habitude de solliciter en fin de projet.

On a retrouvé les photos de famille, avant et après l’effet APUI. Acteurs impliqués dans les consultations de promoteurs traditionnelles et dans les appels à projets urbains innovants.

Il est encore difficile d’évaluer les gains de cette réorganisation des interventions des partenaires sur les délais de production du projet urbain : il faudra attendre pour cela que les premiers sites ayant fait l’objet d’une consultation par APUI soient livrés.  

Il est en revanche possible d’avoir une première estimation de la durée moyenne de ces consultations en analysant les premiers APUI : elle est d’environ un an, avec 15 mois pour Réinventer Paris et Réinventer la Seine contre 12 mois pour Inventons la Métropole.

Produire son offre de projet au tempo des APUI : 12 à 15 mois d’affinage pour se bonifier. Frises chronologiques des APUI Réinventer Paris, Réinventer la Seine, Inventons la Métropole.

Loi MOP et APUI : flirt en eaux troubles

En théorie, APUI et loi MOP s’apparentent peu

Si les deux dispositifs partagent un point de départ (être initiées par une collectivité) et un objectif (la mise en œuvre d’un projet immobilier), plusieurs éléments structurants les différencient.

Depuis plus de 30 ans, la loi de Maîtrise d’Ouvrage Publique (MOP) est la voie classique empruntée par les acteurs publics pour construire des infrastructures et équipements publics comme des écoles, des centres socio-culturels ou des équipements sportifs ou socio-culturels. Sur ces objets, elle a obligation d’assurer une maîtrise d’ouvrage publique.

La cession foncière avec charges permet à la collectivité de garder une certaine maîtrise de la destination des terrains cédés en exprimant des orientations (mais par des besoins précis) par exemple pour des logements, des bureaux ou encore des locaux d’activités. Ces orientations ne doivent pas porter sur des équipements publics dont la maîtrise d’ouvrage lui incombe. Et la collectivité ne peut utiliser la cession pour faire réaliser pour son compte des immeubles destinés à devenir sa propriété ou conçus en fonction de ses besoins propres.

Outre cette distinction dans la finalité, les deux dispositifs se différencient par leur procédure. Avec la cession foncière, la collectivité peut vendre ses biens privés sans être obligée d’assurer une publicité, une mise en concurrence et des relations très normées avec les candidats, alors qu’elles sont obligatoires avec la loi MOP. Si les Réinventer ne se sont pas affranchis de toutes ces règles du jeu, on note un glissement sémantique : la « mise en concurrence » a laissé place à la « consultation » par appel à projets, les « phases de négociations » ont disparu au profit d’« ateliers » ou de « workshops ».

Autre nuance, la cession foncière ne peut donner lieu à une indemnisation des participants non retenus par la collectivité. La loi MOP prévoit quant à elle l’indemnisation à 80% de la mission esquissée. Dans les APUI, les organisateurs publics renvoient la question de la rémunération des concepteurs aux promoteurs à qui le foncier est cédé. Pas très sécurisant pour des architectes et urbanistes très investis dans cette phase amont sans aucune garantie de voir leur projet retenu. Face à la vive interpellation de la Présidente de leur l’Ordre des architectes, les APUI vont à partir de Réinventer la Seine préciser dans leur règlement que les « modalités d’organisation contractuelles et financières entre les différents membres [soient] librement exposées » (extrait de Réinventer la Seine). Une façon implicite de pénaliser les opérateurs qui se dispenseraient de cette indemnisation.

APUI et loi MOP : liaisons dangereuses

Les organisateurs publics prennent garde à ne pas exprimer de besoins relatifs à des équipements publics dans leur cession foncière sous peine de requalification de la procédure en commande publique [4].

Cette contrainte ne les empêche pas légalement de faire peser sur l’acquéreur une série d’engagements et d’orientations dans la programmation (ex : logements, bureaux, locaux d’activités). Les organisateurs font à ce titre un usage variable des « fiches de description » des sites : alors que les orientations restaient souvent générales dans le cas de Réinventer Paris, la consultation Inventons la Métropole a donné lieu à des attentes beaucoup plus précises. Cette pratique plus ou moins explicite d’orientation de la programmation soulèvent plusieurs interrogations et peut engendrer certaines contradictions.

A exprimer ces besoins de manière trop précises, l’organisateur se met sur une ligne de crête. La requalification sera évidente s’il s’agit d’un équipement public. Mais elle peut aussi devenir possible lorsque la personne publique entend satisfaire un intérêt public pour servir un objectif politique (ex : redonner vie à un quartier, doter un quartier de tel ou tel équipement). Pour fixer cette limite, l’autorité judiciaire pourra étudier dans quelle mesure la personne publique se trouve à l’initiative du projet et dans quelle mesure l’équipement construit été défini par la consultation (ex : nature et importance respectives des affectation).  Plus les charges imposées à l’acquéreur seront précises et importantes plus le contrat pourra être analysé comme répondant à un « besoin précisé » et donc relevé de la commande publique [5]. Des différences qui pourront s’avérer ténues sur certains sites des Réinventer avec un des déplacements sûrement observables de la commande publique vers la commande privée.

A l’inverse, des objectifs peuvent être formulées de façon très générique, ce qui soulève également des questions mais sur un autre registre : l’absence d’orientation peut être perçue comme une désertion de la collectivité face aux missions que l’on a l’habitude de lui prêter : sa capacité à produire une vision collective et à garantir l’intérêt général. La question se pose plus particulièrement pour la cession de grands sites, véritables « morceaux de ville » comme pour certains terrains d’Inventons la Métropole. Ces projets incluront sûrement des équipements présentant une forte dimension d’intérêt général à l’échelle de leur quartier, des équipements qui auront été programmés et gérés par des acteurs privés. Une tendance qui ouvre le débat sur le rôle à donner aux « équipements privés d’intérêt général » et à la capacité de la collectivité à les réguler sans s’exposer juridiquement (incitation, encadrement).

Dans ce deuxième scénario l’histoire montre déjà sur certains sites que les attentes de la collectivité en matière de programmation, bien que peu exprimées dans la consultation, peuvent être très fortes implicitement. Et certains porteurs de projets réussissent en off à recueillir ces attentes ou a minima à tester leurs idées auprès des décideurs locaux. Un système qui risque d’emblée de mettre hors-jeux les autres candidats et de les faire travailler à vide.

Notes

[1] Adèle Colin (architecte urbaniste), Aude Guillemin (architecte urbaniste), Daphné Lecointre (urbaniste), Mathilde Moaty (architecte urbaniste), Tewfik Tabouche (architecte urbaniste) avec l’appui de Paul citron (urbaniste).

[2] Matinée du CGEDD, « Réinventer Paris : innover dans la commande urbaine ?», mars 2016

[3] Isabelle Baraud-Serfaty et Flore Trautmann, « Vers de vrais partenariats aménageurs-promoteurs », La Revue foncière, n°9, janv-fev 2016

[4] Hors certains cas d’indissociabilité de la construction de l’équipement public du reste de l’opération (ex : équipement en rez-de-chaussée d’immeuble).

[5] Voir l’analyse intéressante de Vandepoorter Alexandre et Guillerm Maeva, « les cessions foncières avec charges », dans Contrats Publics, n°145, juillet-août 2014.

Pour citer cet article : “Gastine Lionel et Desjardins Anne-Laure, “Episode 3 – Ni ZAC ni MOP : l’APUI – la 3ème voie fait aussi recette en urbanisme”, URBANOVA, 2018

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