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Episode 2 – La diffusion des APUI* en 3 leçons de marketing

Parution :

URBANOVA

Date :

2018

Auteurs :

Lionel Gastine et Marie-Aimée Prost (URBANOVA) avec la contribution de l’équipe projet du Cycle d’Urbanisme de Sciences Po Paris [1]

Leçon 1 – Marketing viral : la propagation des APUI

Le concept des Réinventer Paris a connu une progression fulgurante en moins de 3 ans. Sortant de Paris intra-muros, la procédure s’est invitée sur d’autres territoires, avec de nouvelles échelles et de nouvelles tailles de site.

« Pour moi, Réinventer Paris est une graine, que j’espère pouvoir planter dans les ZAC, les sociétés d’aménagement et la métropole du Grand Paris ». Jean-Louis Missika [2]

Les APUI, une diffusion rapide. Chronologie des premiers APUI avec leurs stratégies et leurs objectifs implicites.

Le virus APUI en mode transcription

Les consultations Réinventer la Seine et Inventons la Métropole qui emboîtent le pas à Réinventer Paris ont beaucoup à voir avec l’original. Elles utilisent la cession foncière avec charges et formulent des ambitions fortes en matière d’innovation. Toutes les nouvelles solutions sont de nouveau sollicitées. Pour Inventons la Métropole c’est aussi la célérité (supposée) de la procédure des APUI qui semble convenir parfaitement au contexte politique et institutionnel. Pour un ancien cadre de la Métropole du Grand Paris, cette consultation « ne tient [d’ailleurs] que parce qu’il y a de la vitesse » face au « défi de réunir 55 maires ». La recette de l’APUI faisant succès, les organisateurs reprennent les mêmes ingrédients de base. L’analyse des règlements, des processus et des calendriers mettent en évidence ces ressemblances.

Exercice d’anatomie sur APUI. Analyse des processus et calendriers des premiers APUI.

Le virus APUI en mode adaptation

Le concept des APUI connaît des variations lors de ses multiples reproductions.

La consultation s’améliore de façon itérative en corrigeant certains « couacs ». Car avec cette initiative la Ville de Paris a fait elle-même l’expérience du risque inhérent à toute démarche novatrice. A l’occasion de Réinventer la Seine, elle ajuste tir en allégeant le travail demandé aux équipes en phase initiale. Une inflexion qui sera reprise et accentuée avec Inventons la Métropole qui demande des présentations plus succinctes du projet et des montages juridico-financiers envisagés.

Le concept s’adapte aussi aux sites. Le deuxième APUI Réinventer la Seine inclue de nombreuses petites parcelles et plusieurs sites sur l’eau. Il compte également les Ports comme propriétaires co-organisateurs. Des configurations nouvelles qui amènent à envisager des transferts de droits et des montages nouveaux ainsi que des équipes intégrant une plus forte proportion d’utilisateurs.

Le virus des APUI s’accommode bien avec de nouveaux territoires. Son storytelling est plastique et vient épouser les visions politiques. Avec Réinventer Paris, la ville-musée se veut capitale de l’innovation et des start-up. Avec Réinventer la Seine c’est un grand territoire qui trouve sa cohérence et sa valeur grâce aux nouveaux usages développés autour du fleuve. Avec Inventons la Métropole, la collectivité organisatrice tente un discours unificateur avec des sites parfois très disparates et s’efforce de donner de la visibilité à une institution en mal de légitimé.

Le modèle des APUI circule donc. Il connaît à la fois des transcriptions qui reprennent ses ingrédients de base, des adaptations qui l’améliorent de façon incrémentale, et des variations qui lui permettent d’épouser de nouveaux contextes politiques et territoriaux.  

Parmi ces adaptations relevons deux « cibles » nouvelle du virus des APUI : les sites « morceaux de ville » et les sites peu attractifs.

Leçon 2 – La segmentation marketing : les APUI à l’épreuve des échelles de la ville

@JLMissika, il y a erreur sur la marchandise Jean-Louis, c’était un appel à projets « immobiliers » innovants

Au regard de la petite taille des sites de Réinventer Paris le qualificatif appel à projets « immobiliers » semble plus approprié que celui d’appel à projets « urbains ».

Dans Réinventer Paris, les programmations des candidats ont finalement un impact limité sur la conception et le fonctionnement du quartier, même si elles pouvaient être radicalement différentes d’un candidat à l’autre pour le même site. En revanche, Inventons la Métropole change la donne : la consultation porte sur des parcelles de 3,4 ha en moyenne et des sites de plus de 150 000 m². On passe de l’immeuble au quartier, le projet immobilier fait place au projet d’aménagement.

La question de la privatisation de la ville (re)fait dès lors surface. Avec ces grands sites, les APUI offrent une nouvelle occasion pour le secteur privé de renforcer son rôle d’aménageur traditionnellement dévolu à l’acteur public en France.

Inventons la Métropole change la donne avec de nouvelles échelles de site. Analyse de la taille des sites (terrains, bâtiments, plans d’eau).

Leçon 3 – Marketez mais pas trop : les limites du packaging dans l’APUI

Avec Réinventer Paris, Jean-Louis Missika voulait soumettre aux innovateurs du monde entier « un bouquet japonais », une panoplie de sites différents mais packagés dans un appel à projets innovants. La composition du bouquet a suivi un critère simple : la disponibilité des terrains au moment du lancement de la consultation. On retrouve donc dans cet assemblage des sites prestigieux et des sites « peu attractifs » comme le rappelle un proche de l’élu parisien. Assemblez sites attractifs et répulsifs, massifiez, cédez le foncier en laissant libre cours à l’imagination, marketez et communiquer : la recette magique serait-elle là ?

Merci de l’avoir posée : les fonciers pourris des APUI restent-ils pourris ?

Augmenter l’attractivité des sites grâce à une consultation APUI : une promesse à tempérer.

Pour mettre à l’épreuve cette force du packaging, il faut sortir du foncier parisien par nature très attractif. Qualitativement, le témoignage de plusieurs organisateurs pourrait venir conforter la méthode. Pour un cadre de l’Agence d’urbanisme de Rouen, ce packaging et cette communication ont permis « d’ouvrir [les sites] à des porteurs de projets et des architectes beaucoup moins locaux que ceux auxquels [ils sont] habitués ». La méthode renforce selon lui l’attractivité de fonciers délaissés. Un site rouennais a reçu sept propositions avec Réinventer la Seine alors qu’il n’en n’avait jamais eu jusqu’alors. De façon similaire, un cadre de la Métropole du Grand Paris cite une parcelle en quartier NPNRU qui a reçu quatre candidatures contre aucune auparavant.

Quantitativement, les résultats semblent plus discutables. Sans surprise les APUI ne changent pas les fondamentaux de l’attractivité foncière : Réinventer Paris a recueilli en moyenne 15 propositions de groupement par site contre 6 pour Réinventer la Seine. De plus 23% des sites de Réinventer la Seine n’avaient plus de candidats pour la phase finale, un chiffre qui monte à 33% pour le seul territoire du Havre.

Bonus – Les produits dérivés des APUI : variations autour du produit phare

Pour approfondir l’analyse du marketing viral des APUI, explorons un de leur nouveau terrain de jeu : les projets urbains des Etablissements Publics d’Aménagements (EPA), des sociétés d’économie mixte et des entreprises publiques.

L’opération du Central de l’EPA Paris Saclay avec son programme mixte de 70 000 m² constitue un exemple intéressant. La consultation (janvier 2017) assume dans sa formulation son entrée dans un modèle de consultation héritée des APUI. Elle prend la forme d’une cession de charges foncières en faisant de l’innovation l’enjeu majeur pour les groupements candidats. Des solutions nouvelles dans les usages, les nouveaux services, l’énergie, la mobilité et l’économie circulaire sont attendues. Reprenant la méthode des APUI, la consultation du Central l’adapte avec un développement des enjeux plus important et un cadrage programmatique plus poussé que Réinventer Paris.

 

L’appel à partenariats d’opérateurs lancé par SNCF Immobilier pour le site Paris Ordenner-Poissoniers est une autre illustration. Cette consultation lancée en juin 2016 porte sur un site de 70 000 m². Elle propose des modalités de cession différentes de Réinventer Paris mais son règlement reprend le principe d’un cahier des charges sommaire propice à « tester, optimiser puis stabiliser la programmation immobilière ». On notera toutefois que cette consultation et celle du Central se distinguent des premiers APUI en organisant des ateliers thématiques approfondis avec les candidats pré-sélectionnés.

Ces consultations s’inspirent donc des APUI tout en contribuant elles-mêmes à proposer des variations avec des répartitions de rôles nouvelles entre les acteurs publics et privés.

On a réussi à capturer des A.G.M. : des APUI Génétiquement Modifiés. Mise en perspective de nouvelles formes d’APUI (Paris-Saclay le Central, Paris Ordener) avec d’autres consultations (APUI, ZAC, hors ZAC).

Notes

[1] Adèle Colin (architecte urbaniste), Aude Guillemin (architecte urbaniste), Daphné Lecointre (urbaniste), Mathilde Moaty (architecte urbaniste), Tewfik Tabouche (architecte urbaniste) avec l’appui de Paul citron (urbaniste).

[2] Matinée du CGEDD, « Réinventer Paris : innover dans la commande urbaine ?», mars 2016

Pour citer cet article : “Gastine Lionel et Prost Marie-Aimée, “Episode 2 – Diffusion des APUI : 3 leçons de marketing pour décrypter”, URBANOVA, 2018

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